Par Coralie Schaub
Près de Chichapa, dans l’Etat de Veracruz, au Mexique, le 8 janvier. Une maladie nommée «la rouille du caféier» a décimé 80% des plants des petits producteurs au Mexique depuis l’an dernier.
Photo David Alire Garcia. Reuters
Au Mexique, les petits exploitants ont perdu 80% de leur production depuis l’an dernier. Ils tentent de trouver des solutions. Entretien avec Luiz Martinez Villanueva, un de leurs représentants.
«Les producteurs de café ruinés tombent dans le narcotrafic»
A 41 ans, Luiz Martinez Villanueva coordonne le réseau mexicain des petits producteurs de commerce équitable. Présent à Paris à l’occasion de la COP21, il raconte à Libération comment le changement climatique bouleverse la production de café, donc toute la vie locale, dans sa région de Oaxaca, au sud du Mexique. Jusqu’à alimenter le narcotrafic. Et comment les producteurs tentent de s’adapter.
Qu’est-ce qu’un petit producteur ?
Très bonne question ! Nous considérons que c’est celui qui produit principalement avec de la main-d’œuvre familiale et qui, à certaines occasions, peut avoir recours à de la main-d’œuvre externe. Dans le cas du Mexique, celle-ci peut provenir de la famille étendue qui vient aider et inversement, ce n’est pas un travail contractuel en tant que tel, mais plutôt de l’aide familiale, du troc.
Constatez-vous déjà les effets du changement climatique ?
Depuis l’an dernier, nous souffrons énormément de l’attaque d’une maladie du café, la rouille du caféier, qui nous a fait perdre environ 80% de notre production. La rouille vient du sud, du Guatemala, de Colombie, d’Amérique centrale, elle est passée dans notre région depuis quelques années. Mais nous parvenions auparavant à la maîtriser, alors qu’aujourd’hui elle est devenue beaucoup plus agressive. Cette année, une très forte sécheresse a affecté la production de café, mais aussi des autres plantes qui constituent l’alimentation de base de la population, comme le maïs ou le haricot rouge.
Dans votre région, le changement climatique entraîne-t-il une baisse des précipitations ?
Oui. C’était une région où il pleuvait beaucoup. D’habitude, les pluies commencent en juin et se terminent en novembre. Cette année, elles ont démarré en juillet, il a plu jusqu’à mi-juillet et ensuite plus rien jusqu’en septembre. C’est un changement très fort. Normalement, les périodes où il ne pleut pas ne dépassent pas quinze jours. Or là, un mois et demi, c’est beaucoup. Le même phénomène s’était déjà produit l’an dernier.
Selon des études, si le processus actuel se poursuit, en 2050-2055, il n’y aura plus de café au Mexique. Cela aura des conséquences dramatiques, pour nous petits producteurs. Et pour la forêt. Au Mexique et en Amérique centrale, les caféiers se cultivent sous le couvert forestier. Ce sont des systèmes dans lesquels il y a beaucoup de diversité de plantes, d’animaux, d’insectes, d’oiseaux. Si le café disparaît, le producteur va couper la forêt. Cette déforestation va entraîner la perte de toute cette diversité. Il faut donc aussi que cette production de café se maintienne pour pouvoir préserver la forêt. Quand un consommateur consomme une tasse de café provenant de ces caféiers, il contribue aussi à maintenir la forêt.
Perdre 80% de sa production, cela implique quoi pour les familles ?
Il y a beaucoup de conséquences. Le changement climatique ne voit pas si tu es riche ou pauvre, si tu es de la ville ou de la campagne. Mais dans le cas de la campagne, il rend les producteurs beaucoup plus vulnérables. Car leur capital, c’est leur parcelle, leurs plants de café, leur maïs, leurs haricots. Quand ce capital se perd, le producteur ne peut plus survivre, donc il cherche d’autres modes de subsistance. Il a alors plusieurs options : l’une est de défricher la forêt, semer plus de maïs et de haricots. Mais cela a plusieurs conséquences : on perd de la biodiversité, cela émet du carbone et le patrimoine de la communauté se perd…
La deuxième option, c’est d’émigrer. Le chef de famille et les fils adultes émigrent vers les villes. Si ça se passe bien, ils vont jusqu’aux Etats-Unis. Si ça se passe mal, ils sont tués, séquestrés, c’est quelque chose qui arrive. La troisième option, la plus dangereuse et qui se passe en ce moment, c’est que beaucoup tombent dans le narcotrafic, c’est de l’argent facile et il y a beaucoup de consommateurs aux Etats-Unis. Dans tous les cas, les familles se désintègrent. Les femmes restent en charge des parcelles de café et de maïs. Et il faut trouver comment garder les jeunes enfants. Cela affecte la vie de la famille entière, jusqu’aux grands-parents.
Que faire ?
Nous tentons de faire en sorte que ce capital ne se perde pas. Et s’il s’est perdu, nous cherchons à voir comment le récupérer. Nous tentons d’adapter notre façon de cultiver le café à ce changement climatique. Nous travaillons sur ce sujet avec quelques soutiens, notamment, pour la France, l’entreprise Malongo. Elle nous soutient dans un projet d’assistance technique pour tester de nouveaux fertilisants biologiques. On voit déjà des résultats. Ce n’est pas expérimenté que chez nous, mais aussi dans d’autres endroits du Mexique et d’Amérique Latine. Nous sommes aussi en train d’introduire de nouvelles variétés de café résistantes à la rouille, de meilleures pratiques agricoles (plus d’ombrage, conserver les sols…). Ce sont de grands programmes, par exemple cette année nous plantons environ 1,2 million de nouveaux caféiers.
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