Auditionnée par la commission des finances du Sénat ce 18 mai, dans le cadre de la politique de lutte contre l’évasion et fiscale internationale -et plus particulièrement sur les suites données aux désormais fameux Panama papers-, Eliane Houlette, le procureur en chef du Parquet national financier (PNF), en a profité pour esquisser un bilan de son activité.
Pour rappel, le PNF a été créé le 1er février 2014, en réaction au scandale Cahuzac, avec dans l’idée de créer un «super-parquet» à compétence nationale chargé des délits économiques et financiers complexes tels les délits boursiers et, selon leur niveau d’importance, les délits d’atteintes à la probité (corruption, trafic d’influence, prise illégale d’intérêts, pantouflage, favoritisme, détournement de fonds publics…), et de fraude fiscale lourde (escroquerie à la TVA, montages internationaux, blanchiment…). La création de ce nouveau parquet avait fait à l’époque bien des jaloux auprès des parquets locaux, priés de lui transférer tous leurs dossiers économiques les plus sensibles et donc souvent les plus intéressants et médiatiques (cela valant y compris pour le puissant procureur de Paris, François Molins) et de lui adresser toute affaire nouvelle. De plus, le microcosme judiciaire (du Conseil d’Etat à la Cour de Cassation, jusqu’à la Chancellerie, divisée) était assez peu convaincu de la nécessité réelle d’un PNF, alors que le procureur national n’est pas plus statutairement indépendant que les autres procureurs (nommé par le Garde des sceaux), et que ce Parquet se retrouve en «concurrence» soit avec l’Autorité des marchés financiers (AMF) pour les délits boursiers (qui ne peuvent plus, selon le Conseil constitutionnel, être jugés séparément par chacune des deux instances), soit avec les tribunaux régionaux pour les affaires de fraude fiscale ou de corruption.
Le Parquet débordé
Deux après, il est encore tôt, vue la lenteur de l’horloge judiciaire, pour tirer un bilan de l’action du PNF, mais Eliane Houlette a profité de son audition auprès de parlementaires pour défendre son institution et faire passer quelques messages. Ainsi, elle tient à faire savoir que son Parquet est pleinement opérationnel et même débordé. Rappelant que l’étude d’impact de 2013 préalable à la loi créant le PNF avait estimé sa capacité de traitement à environ 250 dossiers par an, avec au maximum 8 dossiers complexes par magistrat, elle souligne qu’il y a aujourd’hui en fait 353 procédures en cours (dont 155 pour fraude à l’impôt et 136 pour atteintes à la probité), traitées par ses 15 magistrats (ce qui aboutit plutôt à 23 dossiers par magistrat ). Pour autant, le procureur, qui a fait de la lutte contre la course de lenteur judiciaire une priorité, tient à démontrer sa réactivité. Ainsi, sur les Panama papers: «nous avons lu la révélation du scandale dans la presse le 3 avril, dès le 4 avril nous avons ouvert une enquête préliminaire et le 5 avril fait procéder à une perquisition à la Société générale, mise en cause.
Une cellule spéciale de 5 magistrats est sur le coup et, le 4 mai, nous avons eu une réunion aussi avec les services du fisc, qui devraient nous déléguer un agent spécialisé en étude de données informatiques pour décrypter les fichiers, mis en ligne depuis le 9 mai. Je me suis déplacée en Espagne pour discuter avec mon homologue d’actions communes et enfin, le 13 mai, j’ai saisi Eurojust, la structure judiciaire de l’union européenne pour demander à travailler dessus en commun.» Dans cette affaire comme dans d’autres (notamment les escroqueries à la TVA), le procureur se félicite de «l’excellente coopération» et de «la communication fluide» avec les services de l’administration fiscale et avec les douanes.
Pas assez d’enquêteurs
Cependant, Mme Houlette ne cache pas les difficultés qui aboutissent à un bilan (certes prématuré) encore mitigé. D’abord, elle s’est plainte, comme en chaque occasion qui lui en est donnée, du manque de moyens des services d’enquête spécialisés à qui elle confie les dossiers: «ils sont tous sous-dimensionnés, sous-équipés voire au bord de l’étouffement, confrontés à des affaires toujours plus complexes et chronophages, d’autant que, en face, les contrevenants, disposent de bataillons d’avocats très compétents, qui utilisent tous les moyens procéduraux possibles.» Ainsi, le nouvel Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF), créé en même temps que le PNF, ne dispose plus que de 83 agents contre 95 en 2014 alors que le nombre de dossiers confiés ne fait que croître. Pareil aux brigades financière et de répression de la délinquance économique, à la Préfecture de police de Paris (98 enquêteurs contre 119 en 2006).
La Suisse ne coopère pas
Ensuite, Eliane Houlette se heurte aux plus ou moins mauvaises volontés dans la coopération judiciaire internationale. Depuis qu’il est en action, le PNF a envoyé 118 demandes d’entraide pénale internationale (DEPI) dans une quarantaine de pays, pour des résultats très aléatoires. Certains paradis fiscaux coopèrent correctement comme les Bahamas ou le Luxembourg «sans pour autant avoir toujours les réponses sur le bénéficiaire final des montages», relève le procureur. Mais d’autres, comme la Russie, le Qatar, l’île Maurice restent fermés. Surtout, Eliane Houlette étrille la Suisse, qui se targue pourtant d’en avoir fini avec son secret bancaire séculaire, évoquant, sans plus de précisions, «un dossier d’une personne sensible donné directement par le directeur des finances publiques, où les demandes de coopération administrative comme judiciaire ont jusqu’ici échoué». S’agirait-il du cas de Serge Dassault, de Patrick Balkany ou de Jean-Marie Le Pen, tous trois sous enquête du PNF pour fraude fiscale et soupçonnés d’être passés notamment par des comptes en Suisse?
Tensions entre juridictions
Enfin, Eliane Houlette regrette à demi-mot que les tensions de prérogatives avec les parquets locaux restent vives, alors que le monde judiciaire est pourtant sinistré. «Trop souvent, les signalements de l’unité anti-blanchiment Tracfin, déposés auprès des parquets territoriaux, ne nous remontent pas alors que ce devrait être systématique», pointe-t-elle… s’étonnant aussi d’avoir appris par la presse que des perquisitions avaient été menées dernièrement auprès de membres de la richissime famille Mulliez (Auchan, Decathlon, Leroy-Merlin…) sur des soupçons de fraude fiscale! «Je souhaiterais que tous les dossiers complexes de fraude fiscale, passant le plus souvent par l’étranger, nous soient confiés», réaffirme-t-elle fermement. Aujourd’hui, le flou n’est pas levé: sur l’affaire de la liste HSBC, le PNF n’a hérité que de moins de la moitié des dossiers et il n’a pas récupéré l’énorme dossier UBS, pourtant tout aussi emblématique d’un système de fraude fiscale industrielle.
Délais trop longs
En attendant, les dossiers arrivent encore trop lentement devant les tribunaux: il faut quatre ans pour les traiter, deux ans minimum pour les instruire, sans compter, après, les recours et appels. Ainsi, seuls trois dossiers HSBC (liste révélée par un ex-employé de la banque, Hervé Falciani en 2009!) traités par le PNF ont déjà été jugés, dont l’affaire de l’héritière Arlette Ricci. Dans deux cas (dont ce dernier), les prévenus ont fait appel, dans le troisième, c’est le Parquet, non suivi dans ses réquisitions, qui a jugé la peine trop douce.
Mais c’est dans la seconde partie de l’année 2016 que le Parquet financier va vraiment passer sous les feux de l’actualité, et à l’épreuve du tribunal: après d’ultimes reports sous forme de questions de constitutionnalité, les deux procès les plus emblématiques pour fraude fiscale que la France ait jamais connu, celui du marchand d’art Guy Wildenstein et celui de l’ancien ministre, Jérôme Cahuzac, se tiendront en septembre et en décembre prochain. Leurs verdicts face aux réquisitions sonneront comme une forme de premier jugement de la qualité et solidité des enquêtes menées par le PNF.
http://www.challenges.fr/challenges-soir/20160518.CHA9277/fraude-fiscale-delits-boursiers-le-parquet-national-financier-a-l-heure-du-bilan.html
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