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Cet article fait suite Ă  celui paru dans Aviseur International sous le titre

FRANCE (Douane et droits d’accise) : Ă  Montreuil comme Ă  Bercy, il y a vraiment des virtuoses de la voltige, du trapĂšze volant et des pirouettes acrobatiques

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par Jean Pannier, Docteur en droit, Avocat Ă  la Cour

On dĂ©couvre enfin que la douane française a trop souvent obtenu des juridictions correctionnelles la condamnation au paiement des accises et pĂ©nalitĂ©s au prĂ©judice des États oĂč les alcools ont Ă©tĂ© rĂ©ellement mis Ă  la consommation, principalement en Grande Bretagne.

L’affaire porte sur des milliards d’euros

Cette complaisance des juges correctionnels Ă  l’égard des demandes de l’administration Ă  plusieurs causes : la matiĂšre est d’une grande complexitĂ©, elle n’est enseignĂ©e nulle part y compris Ă  l’école de la magistrature, la douane l’interprĂšte Ă  plaisir en la dĂ©formant Ă  son avantage, l’Union europĂ©enne met 10 ans pour rĂ©agir, la Cour de cassation elle-mĂȘme encourage la tendance en soutenant la douane depuis plus de 30 ans au nom de la prĂ©somption et de l’absence de bonne foi notions parfaitement Ă©trangĂšres aux rĂšgles du droit communautaire qui gĂšrent la matiĂšre de la circulation des alcools en droits suspendus [1] et tout aussi Ă©trangĂšres aux principes de sĂ©curitĂ© juridique et de proportionnalitĂ©. Mais la douane ne se contente pas d’instrumentaliser les juridictions, elle pratique la pĂȘche aux accises contre les entrepositaires agrĂ©Ă©s pour les contraindre Ă  accepter des transactions.

Au sommaire de cet article…

1. PremiĂšre inversion de la tendance judiciaire.

RĂ©cemment pourtant, la Juridiction InterrĂ©gionale SpĂ©cialisĂ©e de Lille, dans deux jugements des 2 mars et 11 avril 2023, a mis un coup d’arrĂȘt Ă  cette dĂ©rive en rejetant la demande de pĂ©nalitĂ©s de la DNRED portant sur plus de 70 millions d’euros au motif qu’aucun des alcools visĂ©s par la prĂ©vention n’avait Ă©tĂ© mis Ă  la consommation en France. Ces dĂ©cisions de pur bon sens sont conformes au droit communautaire qui rappelle – sans pour autant ĂȘtre entendu depuis 30 ans par les juges correctionnels – que les accises sont dues uniquement dans le pays de mise Ă  la consommation quand il est connu et qu’elles ne peuvent ĂȘtre recouvrĂ©es deux fois quelles que soient les circonstances.

Cette jurisprudence nouvelle paraĂźtra d’autant plus importante qu’elle intervient dans une affaire de fraude caractĂ©risĂ©e. C’est un sĂ©rieux rappel Ă  l’ordre pour la douane qui ne rĂ©siste plus Ă  la tentation de triturer la loi communautaire pour gĂ©nĂ©raliser la pĂȘche aux accises chez les entrepositaires agrĂ©Ă©s.

Le problĂšme se pose chaque fois qu’il existe une divergence d’interprĂ©tation de la directive 2008/118, chaque administration s’estimant fondĂ©e Ă  procĂ©der au recouvrement des accises. Cette double taxation est pourtant interdite mais quand deux chars d’assaut s’affrontent ce sont les entrepositaires agrĂ©Ă©s qui en font les frais et pas seulement celui qui a commis l’irrĂ©gularitĂ©. L’analyse de la plus haute juridiction correctionnelle du premier degrĂ© – saisie par la douane elle-mĂȘme ne l’oublions pas – remet enfin les pendules Ă  l’heure.

Les deux dĂ©cisions de la JIRS de Lille ont dĂ©clenchĂ© une tempĂȘte dans les services contentieux douaniers trop habituĂ©s Ă  faire le croupier sans Ă©tats d’ñme alors qu’ils savent pertinemment oĂč sont rĂ©ellement arrivĂ©s Ă  destination les camions d’alcools omettant d’en informer les juges le plus souvent.

C’est ainsi qu’on dĂ©couvre dans l’affaire EUROSTOP, par exemple, que dans sa citation correctionnelle de plus de 3 000 pages non cotĂ©es adressĂ©e au Tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer la direction des douanes de Dunkerque s’est bien gardĂ©e de mentionner les Ă©changes du Service RĂ©gional d’EnquĂȘte (SRE) avec les douanes des pays destinataires dans lesquels elle affirme que les camions sont passĂ©s en Grande Bretagne et en Irlande. Tout comme elle s’est bien gardĂ©e de le faire dans ses conclusions devant le Tribunal puis devant la Cour. PrivĂ© de cet Ă©lĂ©ment d’apprĂ©ciation essentiel, le juge correctionnel travaille en aveugle et se laisse entraĂźner dans la dĂ©monstration acrobatique de la douane qui n’hĂ©site pas, en plus, Ă  modifier le texte applicable comme cela a Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© dans un prĂ©cĂ©dent article [2].

Dans l’affaire EUROSTOP, pourtant, la Cour d’appel de Douai a relevĂ© dans son arrĂȘt du 7 fĂ©vrier 2023 les Ă©lĂ©ments de l’assistance mutuelle que la douane n’a pas Ă©voquĂ© lors des audiences :

« ParallĂšlement, les investigations faites auprĂšs des compagnies maritimes trans-Manche ont montrĂ© que les ensembles routiers, aprĂšs avoir quittĂ© les entrepĂŽts de la SARL EUROSTOP, avaient pris la direction du Royaume-Uni
 Â».

Pourtant la Cour n’en a pas tirĂ© les consĂ©quences sur l’absence d’impact sur le budget français comme l’a fait la JIRS puisque, lĂ  encore, aucun alcool n’avait Ă©tĂ© mis Ă  la consommation en France. C’est pourtant le cƓur du dĂ©bat. Le rĂ©sultat est qu’elle a manquĂ© l’opportunitĂ© d’user de son pouvoir souverain d’apprĂ©ciation alors qu’elle l’avait fait dans son premier arrĂȘt du 7 fĂ©vrier 2017. [3].

Le dossier de l’affaire France Distribution-AOE jugĂ©e Ă  Lille a, lui aussi, permis de constater que les enquĂȘteurs de la DNRED, de la douane judiciaire et mĂȘme du parquet dĂ©signent la destination finale vers les pays surtaxĂ©s (le GAP est de 1 Ă  100 pour le vin selon le rĂ©quisitoire dĂ©finitif) situation idĂ©ale pour, lĂ  encore, rĂ©tablir enfin dans cette matiĂšre maltraitĂ©e le pouvoir souverain des juges du fond systĂ©matiquement refusĂ© par la chambre criminelle [4].

Cette approche nouvelle prĂ©sentera certainement l’avantage, dorĂ©navant, d’obliger la douane Ă  apporter la preuve, pour recouvrer les accises, que les marchandises identifiĂ©es ont Ă©tĂ© mises Ă  la consommation en France. Mais uniquement lorsque c’est le cas. Il faut bien comprendre que l’objectif de la fraude consiste Ă  organiser, par diffĂ©rentes combines, l’acheminement des camions vers les pays surtaxĂ©s sans y payer les accises et la TVA. On parle de closing, de starters, de tremplins etc
La fraude fait preuve d’ingĂ©niositĂ©.

Depuis trente ans la justice pĂ©nale navigue en plein brouillard sans jamais se demander oĂč sont passĂ©s les alcools. Elle accorde systĂ©matiquement Ă  la douane le montant des accises et des pĂ©nalitĂ©s au motif que les camions ne seraient pas arrivĂ©s Ă  destination dĂ©formant du mĂȘme coup l’esprit de la rĂšgle communautaire. La jurisprudence est ainsi influencĂ©e par un tour de passe-passe douanier qu’il convient de dĂ©noncer. Mais d’abord examinons les trois Ă©tapes de la circulation des alcools en droits suspendus trop souvent ignorĂ©es dans les dĂ©cisions.

2. Les trois Ă©tapes de l’expĂ©dition en suspension de droits.

A. L’émission du DAE.

L’expĂ©dition d’un camion d’alcool en droits suspendus commence par l’émission d’un DAE (Document administratif Ă©lectronique) transmis immĂ©diatement par l’entrepositaire agrĂ©Ă© expĂ©diteur sur le rĂ©seau GAMMA qui compte 180 000 adhĂ©rents douanes comprises.
C’est Ă  ce premier stade que va se produire la premiĂšre irrĂ©gularitĂ© visĂ©e par l’article 10 de la directive 2008/118 quand le camion dĂ©signĂ© sur le DAE ne quitte pas l’entrepĂŽt vers la destination indiquĂ©e :

« 1. Lorsqu’une irrĂ©gularitĂ© a Ă©tĂ© commise au cours d’un mouvement de produits soumis Ă  accise sous un rĂ©gime de suspension de droits, entraĂźnant leur mise Ă  la consommation conformĂ©ment Ă  l’article 7, paragraphe 2, point a), la mise Ă  la consommation a lieu dans l’État membre oĂč l’irrĂ©gularitĂ© a Ă©tĂ© commise Â».

Le dossier de l’affaire France Distribution fait Ă©tat de surveillances de la DNRED qui a pu constater par procĂšs-verbal que la plupart des camions annoncĂ©s sur GAMMA ne sortaient pas de l’entrepĂŽt ce qui indique qu’ils Ă©taient programmĂ©s pour une autre destination ou mĂȘme qu’ils sont restĂ©s en Grande Bretagne (Ce sont les fameux « ghost lorries Â» dits camions fantĂŽme qui peuvent donner l’illusion d’avoir circulĂ© en Europe grĂące Ă  des DAE frauduleux). On parle de centaines de DAE identifiĂ©s dont chacun constitue une infraction qui justifie le retrait d’agrĂ©ment et la fermeture de l’entrepĂŽt. La DNRED et la douane judicaire de Lille ont pourtant laissĂ© faire pour pouvoir soumettre Ă  la JIRS un dossier consistant. Le parquet de la JIRS, victime lui aussi de la culture du rĂ©sultat, a fermĂ© les yeux.

L’entrepositaire destinataire qui est forcĂ©ment de mĂšche avec le circuit de fraude va lui-mĂȘme commettre une irrĂ©gularitĂ© en accusant rĂ©ception de camions qu’il n’a jamais reçus ce qui pose aussi le problĂšme de la lĂ©gĂšretĂ© avec laquelle certaines administrations douaniĂšres dĂ©livrent des numĂ©ros d’accises Ă  des escrocs. La France est en tĂȘte du peloton et pour amĂ©liorer le score va mĂȘme jusqu’à associer Ă  la lutte contre la fraude des entrepositaires qui ont commis cent fois plus d’infractions que les personnes poursuivies. On cherche encore l’explication.

Si l’on suit l’article 10 de la directive nous sommes ici en prĂ©sence de deux irrĂ©gularitĂ©s susceptibles d’engager Ă  la fois la responsabilitĂ© de l’expĂ©diteur et celle du destinataire alors que la marchandise est Ă©coulĂ©e dans un troisiĂšme pays seul habilitĂ© Ă  revendiquer le recouvrement des accises pour peu que les douaniers français acceptent de lui communiquer leurs informations. Il est temps que Bruxelles rĂ©agisse pour Ă©viter les inĂ©vitables divergences d’analyse des douanes europĂ©ennes, chacune ayant la tentation de faire main basse sur les accises.

On peut lĂ©gitimement se demander si la rĂ©daction de l’article 10 de la directive est bien adaptĂ©e Ă  la rĂ©alitĂ© du trafic :
La JIRS de Lille, confrontĂ©e Ă  de multiples variantes de la fraude s’en est fort bien sortie en se rĂ©fĂ©rant Ă  l’esprit de la rĂšgle communautaire Ă©noncĂ© par l’article 7 de la directive :

« 1. Les droits d’accise deviennent exigibles au moment de la mise Ă  la consommation et dans l’État membre oĂč celle-ci s’effectue Â».

DĂšs lors que le dossier offre toutes les certitudes que les camions sont tous partis vers les pays surtaxĂ©s – ce qui est finalement l’objectif de la fraude – les juges de Lille, usant de leur pouvoir d’apprĂ©ciation souveraine, ont considĂ©rĂ© que les marchandises n’ont pas Ă©tĂ© Ă©coulĂ©es en France et qu’en consĂ©quence le budget de la France n’a subi aucun prĂ©judice.

Autrement dit, le travail d’investigation de la douane a surtout consistĂ© Ă  instrumentaliser la Justice pour monter Ă  grands frais (on parle de millions d’euros) un dossier annoncĂ© comme exemplaire qui n’a finalement convaincu que le parquet qui a commis l’erreur de s’adjoindre un douanier du pĂŽle d’action Ă©conomique de la direction de Dunkerque 
pour exercer l’action publique. Cet exercice pĂ©rilleux qui amalgame l’action publique et l’action fiscale montre simplement que le parquet Ă©prouve des difficultĂ©s Ă  s’imprĂ©gner seul du droit communautaire et qu’il n’a pas compris que la douane en a profitĂ© pour l’entraĂźner, Ă  l’opposĂ© du droit communautaire, sur ses arriĂšre-pensĂ©es budgĂ©taires.

Au total l’énorme budget engagĂ© pour partir Ă  la chasse aux grands requins de la fraude aux accises n’a rapportĂ© qu’une maigre friture parce qu’en voulant associer un rĂ©seau sulfureux Ă  la traque, la douane a couvert ses clients indo-pakistanais qui en rient encore 
 et privĂ© de ses ressources (un milliard de livres par an pour la pĂ©riode) le budget de la Couronne qui manque d’humour.

On notera au passage que la douane judiciaire, (SEJF) pourtant dirigĂ©e par un magistrat, Ă©tait aussi bien plus attentive aux objectifs de son administration d’origine (la voix de son maĂźtre) et qu’elle n’a pas aidĂ© le parquet ni les juges d’instruction alors qu’elle a Ă©tĂ© crĂ©Ă©e pour remplir cette mission. Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner de l’échec du projet initial. Le parquet a failli sur un objectif qui n’est finalement pas vraiment le sien : aider la douane Ă  « bĂ©tonner Â» la jurisprudence qui lui accorde les accises en contradiction totale avec la directive 2008/118 dĂ©formĂ©e Ă  la hache pour les besoins de la cause [5].

B. La circulation des camions.

Un camion d’alcool circulant en droits suspendus vers un entrepositaire agrĂ©Ă© Ă©tranger peut ĂȘtre contrĂŽlĂ© en cours de transport sur le territoire national. Une irrĂ©gularitĂ© peut ĂȘtre dĂ©tectĂ©e lors du contrĂŽle si les documents prĂ©sentĂ©s aux agents douaniers ne correspondent pas au chargement ou sont tout simplement des photocopies d’un autre transport dĂ©jĂ  arrivĂ© Ă  destination.

A ce stade le bĂ©nĂ©fice de la circulation en droits suspendus prend fin immĂ©diatement et les accises sont dues par l’entrepositaire agrĂ©Ă© expĂ©diteur qui risque de voir son statut suspendu voire annulĂ© pour fraude. Pourtant la politique de la douane a longtemps consistĂ© Ă  laisser les transporteurs payer les accises en France – mĂ©thode dite des droits acquittĂ©s – et Ă  fermer les yeux lorsque les camions passent au filtre pour se diriger vers la Grande Bretagne et l’Irlande. Ce qui n’empĂȘche pas l’administration et le parquet de donner des leçons de morale Ă  l’audience correctionnelle aux trafiquants qu’on a laissĂ© faire pendant des annĂ©es, situation qui relĂšve de l’excuse de provocation.

Il est possible aussi que l’expĂ©diteur dĂ©signĂ© sur les documents ne soit pas au courant d’une manipulation organisĂ©e Ă  son insu par un concurrent ou un transporteur agissant sur ordre d’un opĂ©rateur qui n’a rien Ă  voir avec l’expĂ©diteur dont le nom a Ă©tĂ© tout simplement usurpĂ©.

C. La réception des camions.

La principale irrĂ©gularitĂ© consiste pour l’entrepositaire destinataire Ă  accuser rĂ©ception sur GAMMA de marchandises qui ne sont jamais arrivĂ©es. C’est l’accusĂ© de rĂ©ception – apurement pour l’article 302 P du CGI – qui n’obĂ©it Ă  aucune condition de rĂ©gularitĂ© ou de conformitĂ© contrairement Ă  ce que les douanes de Lille ou de Dunkerque soutiennent par conclusions devant les juridictions correctionnelles.

La douane de Dunkerque, pour retenir la responsabilitĂ© de l’expĂ©diteur, va jusqu’à soutenir devant la Cour d’appel de Douai que l’apurement frauduleux n’est pas une irrĂ©gularitĂ©.

C’est la lecture qu’elle donne de l’article 10-4 :

« Article 10-4. Lorsque des produits soumis Ă  accise circulant sous un rĂ©gime de suspension de droits ne sont pas arrivĂ©s Ă  leur destination et qu’aucune irrĂ©gularitĂ©, entraĂźnant leur mise Ă  la consommation, conformĂ©ment Ă  l’article 7, paragraphe 2, point a), n’a Ă©tĂ© constatĂ©e au cours du mouvement, une irrĂ©gularitĂ© est rĂ©putĂ©e avoir Ă©tĂ© commise dans l’État membre d’expĂ©dition et au moment oĂč le mouvement a dĂ©butĂ©, sauf si, dans un dĂ©lai de quatre mois Ă  compter du dĂ©but du mouvement, conformĂ©ment Ă  l’article 20, paragraphe 1, la preuve est apportĂ©e, Ă  la satisfaction des autoritĂ©s compĂ©tentes de l’État membre d’expĂ©dition, de la fin du mouvement, conformĂ©ment Ă  l’article 20, paragraphe 2, ou du lieu oĂč l’irrĂ©gularitĂ© a Ă©tĂ© commise Â».

La douane interprĂšte ce texte en se livrant Ă  un exercice de trapĂšze volant sans filet :

« L’irrĂ©gularitĂ© telle pue prĂ©vue par l’article 10 de la directive est constituĂ©e par l’inapplicabilitĂ© des DAE puisque les marchandises n’ont pas rejoint la destination prĂ©vue dans les DAE sous couvert desquelles elles circulaient.
L’apurement frauduleux Ă  destination dans notre cas d’espĂšce n’est ni plus ni moins qu’une consĂ©quence de la sortie irrĂ©guliĂšre du rĂ©gime de suspension des droits.
S’il fallait encore convaincre du bien fondĂ© de ce raisonnement un apurement informatique n’est pas une cause de mise Ă  la consommation mais une information selon laquelle la marchandise est Ă  priori arrivĂ©e Ă  destination
 Â» [6]

Outre que le raisonnement est spĂ©cieux au point d’affirmer qu’un « apurement frauduleux Â» n’est pas une irrĂ©gularitĂ© – alors que le terme frauduleux Ă©voque le contraire – l’analyse de la douane Ă©quivaut Ă  rĂ©Ă©crire la directive devant la Justice qui s’en accommode. Situation virtuellement dangereuse pour tous les entrepositaires agrĂ©Ă©s si Bruxelles n’y met pas bon ordre pour clarifier enfin la notion d’irrĂ©gularitĂ© sous une forme appropriĂ©e.

Dans l’attente d’une clarification qui ne peut venir que de l’UE il est nĂ©cessaire de rappeler l’esprit de la directive 2008/118 dĂ©formĂ© Ă  plaisir par la douane pour des raisons Ă©videmment budgĂ©taires.

L’arrivĂ©e Ă  destination des alcools n’est pas Ă©vidente dans cette activitĂ© soumise Ă  toutes les tentations en raison des diffĂ©rences de taux d’accises entre les pays membres. Mais la directive ne demande pas l’impossible Ă  l’expĂ©diteur qui n’a, de par son statut d’entrepositaire agrĂ©Ă©, aucun pouvoir de police ni de suivi des marchandises.

L’expĂ©diteur a les obligations suivantes : Ă©mettre un DAE, l’enregistrer sur GAMMA et l’inscrire sur sa comptabilitĂ©-matiĂšres. Il n’a pas de don de divination n’étant pas lui-mĂȘme transporteur la plupart du temps. Quand on connaĂźt les « arrangements Â» qui peuvent intervenir entre les clients donneurs d’ordre et les transporteurs la douane serait bien inspirĂ©e de s’en occuper plus sĂ©rieusement ce qu’elle fait rarement comme on l’a dĂ©couvert dans l’affaire France Distribution oĂč l’on dĂ©couvre que les principaux organisateurs de la fraude sont finalement passĂ©s entre les mailles du filet. L’opĂ©ration « exemplaire Â» de lutte contre la fraude aux accises se solde par un grand coup d’épĂ©e dans l’eau.

Le destinataire est le seul responsable de l’apurement frauduleux car c’est lui seul qui a appuyĂ© sur le bouton permettant d’afficher la rĂ©ception sur GAMMA. C’est pour cette raison que la plupart des douanes des pays destinataires lancent des enquĂȘtes parfois suivies de poursuites judiciaires et surtout procĂšdent au recouvrement des accises en appelant immĂ©diatement les cautions selon leur interprĂ©tation de l’article 10-4 qui n’a rien Ă  voir avec celle de notre douane. Qui a raison ?

Les juges correctionnels français devraient s’interroger sur le bien-fondĂ© des procĂ©dures Ă©trangĂšres que la douane leur cache souvent. Ils pourraient au moins poser la question aux agents poursuivants lors des audiences et tirer les consĂ©quences des rĂ©ponses quitte Ă  envoyer les dossiers Ă  l’instruction lorsqu’ils sont saisis sur citations chargĂ©es de milliers de pages qu’ils n’ont pas le temps de dĂ©cortiquer comme le ferait un juge d’instruction. Le rĂ©sultat est qu’ils n’ont guĂšre de chance de dĂ©tecter les faiblesses des arguments de la douane et que la pratique reste Ă  amĂ©liorer.

3. Les Ă©normes fragilitĂ©s de l’argumentation de la douane.

Car, au nom de quel principe supĂ©rieur du droit l’expĂ©diteur devrait-il ĂȘtre pĂ©nalisĂ© par rapport au destinataire qui a commis l’infraction en appuyant sur le bouton « apurement Â» ? Les seuls principes qui doivent jouer en la circonstance sont le principe de sĂ©curitĂ© juridique et le principe de proportionnalitĂ© complĂštement oubliĂ©s dans les dĂ©cisions judiciaires françaises.

« Il convient de vĂ©rifier, rappelle la CJUE, si une responsabilitĂ© aggravĂ©e, telle que celle en cause au principal, est conforme aux principes de sĂ©curitĂ© juridique et de proportionnalitĂ©.
À cet Ă©gard, insiste la Cour, il convient de rappeler, en premier lieu, que les États membres, lorsqu’ils exercent leurs compĂ©tences pour choisir les sanctions appropriĂ©es dans le cadre de la transposition d’une directive, doivent respecter le principe de sĂ©curitĂ© juridique. En effet, la lĂ©gislation de l’Union doit ĂȘtre certaine et son application prĂ©visible pour les justiciables, et cet impĂ©ratif de sĂ©curitĂ© juridique s’impose avec une rigueur particuliĂšre lorsqu’il s’agit d’une rĂ©glementation susceptible de comporter des charges financiĂšres, afin de permettre aux intĂ©ressĂ©s de connaĂźtre avec exactitude l’étendue des obligations qu’elle leur impose [7].
Or, dans une situation telle que celle en cause au principal, il convient de relever que la responsabilitĂ© aggravĂ©e de l’entrepositaire agrĂ©Ă© n’ayant pas conservĂ© la propriĂ©tĂ© des produits qui font l’objet de l’infraction et n’étant pas liĂ© aux auteurs de cette derniĂšre par un rapport contractuel faisant de ceux-ci ses mandataires n’est expressĂ©ment prĂ©vue ni par la directive 92/12 ni par les dispositions du droit national.
Force est de constater, dans ces conditions, que les sanctions susceptibles d’ĂȘtre appliquĂ©es Ă  un tel entrepositaire agrĂ©Ă© en vertu d’une telle lĂ©gislation n’apparaissent pas, eu Ă©gard, notamment, aux interprĂ©tations divergentes exprimĂ©es au sein du Conseil d’Etat grec, suffisamment certaines et prĂ©visibles pour les intĂ©ressĂ©s pour qu’il puisse ĂȘtre considĂ©rĂ© qu’elles rĂ©pondent aux exigences de sĂ©curitĂ© juridique, ce qu’il incombe toutefois Ă  cette juridiction de vĂ©rifier.
S’agissant, en second lieu, du principe de proportionnalitĂ©, il ressort d’une jurisprudence constante que, en l’absence d’harmonisation de la lĂ©gislation de l’Union dans le domaine des sanctions applicables en cas d’inobservation des conditions prĂ©vues par un rĂ©gime instituĂ© par cette lĂ©gislation, les États membres sont compĂ©tents pour choisir les sanctions qui leur semblent appropriĂ©es. Ils sont toutefois tenus d’exercer leurs compĂ©tences dans le respect du droit de l’Union et de ses principes gĂ©nĂ©raux, et, par consĂ©quent, dans le respect du principe de proportionnalitĂ©
 Â» [8] [9].

En vérité les articles de transpositions de la directive dans le CGI ne correspondent en rien aux interprétations de la douane devant les tribunaux (Directions de Lille, Dunkerque et DNRED).

La tentation est facilitĂ©e par la rĂ©daction certainement perfectible de l’article 10-4 de la directive :

« â€Š lorsque qu’aucune irrĂ©gularitĂ©, entraĂźnant leur mise Ă  la consommation
 n’a Ă©tĂ© constatĂ©e au cours du mouvement, une irrĂ©gularitĂ© est rĂ©putĂ©e avoir Ă©tĂ© commise dans l’État membre d’expĂ©dition et au moment oĂč le mouvement a dĂ©buté  Â».

Observons d’abord que le texte n’évoque absolument pas l’existence d’un accusĂ© de rĂ©ception (apurement en France). On doit en dĂ©duire que l’article 10-4 vise le destinataire qui n’a pas accusĂ© rĂ©ception parce qu’il n’a pas reçu les marchandises, ce qui aurait mĂ©ritĂ© d’ĂȘtre prĂ©cisĂ© dans le texte pour Ă©viter les tentations acrobatiques de la douane. Car les situations existent bel et bien oĂč les marchandises ne sont pas arrivĂ©es Ă  destination expliquant ainsi l’absence d’apurement et l’absence de responsabilitĂ© du destinataire sauf Ă  caractĂ©riser sa participation Ă  un plan de fraude au cours d’une instruction.
En pareille situation la responsabilitĂ© de l’expĂ©diteur ferait sens sauf, ici surtout, Ă  respecter les principes de sĂ©curitĂ© juridique et de proportionnalitĂ© qui laisse une chance Ă  l’expĂ©diteur de prouver sa bonne foi :

« En outre, la Cour a dĂ©jĂ  considĂ©rĂ© que des mesures nationales donnant de facto naissance Ă  un systĂšme de responsabilitĂ© solidaire sans faute vont au-delĂ  de ce qui est nĂ©cessaire pour prĂ©server les droits du TrĂ©sor public. Elle a ainsi jugĂ© que faire peser la responsabilitĂ© du paiement de la taxe sur la valeur ajoutĂ©e sur une personne autre que le redevable de celle-ci, alors mĂȘme que cette personne est un entrepositaire fiscal agrĂ©Ă© tenu aux obligations spĂ©cifiques visĂ©es dans la directive 92/12, sans lui permettre d’y Ă©chapper en apportant la preuve qu’elle est totalement Ă©trangĂšre aux agissements de ce redevable, doit ĂȘtre considĂ©rĂ© comme incompatible avec le principe de proportionnalitĂ© et elle a ajoutĂ© qu’il serait manifestement disproportionnĂ© d’imputer, de maniĂšre inconditionnelle, Ă  une telle personne la perte de recettes fiscales causĂ©e par les agissements d’un tiers assujetti, sur lesquels elle n’a aucune influence Â» [10]

L’article 10-4 s’applique enfin « lorsqu’aucune irrĂ©gularitĂ© n’a Ă©tĂ© constatĂ©e au cours du mouvement Â». On rappelle que le mouvement comporte trois phases, la derniĂšre Ă©tant la rĂ©ception des camions confirmĂ©e par un accusĂ© de rĂ©ception sincĂšre ou frauduleux, que n’évoque absolument pas l’article 10-4.

Si aucune irrĂ©gularitĂ© n’a Ă©tĂ© constatĂ©e au cours des deux premiĂšres phases du mouvement comment la douane peut-elle soutenir que l’apurement frauduleux constatĂ© au stade de la troisiĂšme Ă©tape – la rĂ©ception – n’est pas une irrĂ©gularitĂ© ? Alors que c’est la seule irrĂ©gularitĂ© constatĂ©e Ă  la fin du mouvement. La rĂ©ception fait toujours partie du mouvement et l’apurement, qu’on le nomme fictif ou frauduleux a bien Ă©tĂ© lancĂ© sciemment sur GAMMA par le destinataire qui doit en subir les consĂ©quences.

Affirmer que l’apurement frauduleux Ă  destination n’est ni plus ni moins qu’une consĂ©quence de la sortie irrĂ©guliĂšre du rĂ©gime de suspension des droits n’est qu’une acrobatie jĂ©suitique contredite par l’absence de preuve de la sortie irrĂ©guliĂšre au dĂ©part. Un DAE ne peut-ĂȘtre dĂ©clarĂ© irrĂ©gulier que si l’irrĂ©gularitĂ© a Ă©tĂ© constatĂ©e par procĂšs-verbal (cas des camions qui n’ont pas quittĂ© l’entrepĂŽt). Si l’on suit l’argument de la douane, le DAE ne deviendrait rĂ©troactivement irrĂ©gulier qu’en cas d’apurement fictif. Ce raisonnement est absurde et indigne d’une grande administration publique.
L’argument est d’autant moins sĂ©rieux que la douane poursuit habituellement des apurements fictifs qu’elle qualifie d’infractions. [11] En conclusion, l’article 10-4 ne s’applique pas aux situations dans lesquelles aucun apurement n’a Ă©tĂ© constatĂ© sur GAMMA. Il y a, lĂ  encore, matiĂšre Ă  s’interroger sur l’art d’instrumentaliser la Justice par manipulation de la rĂšgle de droit.

C’est en tout cas en cas d’apurements fictifs constatĂ©s que plusieurs douanes en charge des entrepositaires agrĂ©Ă©s destinataires ont lancĂ© des enquĂȘtes et des poursuites judiciaires et procĂ©dĂ© au recouvrement des accises sans pour autant susciter l’interrogation et le doute des tribunaux correctionnels français. La justice belge poursuit l’entrepositaire destinataire [12] tout comme la justice espagnole et mĂȘme la justice bulgare. Il s’agit bien de prises de positions judiciaires qui devraient inciter les juges correctionnels français Ă  prendre leurs distances Ă  l’égard de la douane.

Or, on ne dit jamais assez que les divergences d’interprĂ©tation de l’article 10 relĂšvent plutĂŽt de l’apprĂ©ciation de la Cour de Justice de l’Union EuropĂ©enne Ă  qui nos juges rechignent Ă  poser une question prĂ©judicielle pour vider l’abcĂšs. Car plus il y aura de pays en dĂ©saccord avec l’interprĂ©tation française plus la saisine de la CJUE deviendra inĂ©vitable. A moins que l’analyse de la JIRS finisse par provoquer un revirement de jurisprudence.

4. La douane ne se limite pas aux procĂ©dures judiciaires qui font figure de banc d’essai ?

ArmĂ©e de plusieurs dĂ©cisions judiciaires rendues en sa faveur, la douane de Dunkerque s’attaque dĂ©sormais aux entrepositaires agrĂ©Ă©s avec la mĂȘme dĂ©monstration chaque fois que des marchandises ne seraient pas parvenues Ă  destination ce qui soulĂšve une autre interrogation sur la fiabilitĂ© des preuves de non-rĂ©ception des marchandises. DĂ©cidĂ©ment, la pratique douaniĂšre – en tout cas Ă  Dunkerque – ne cesse d’étonner.

L’information de la non-arrivĂ©e des marchandises Ă  destination peut prendre du temps voire n’arriver jamais puisque l’apurement mĂȘme fictif est affichĂ© sur GAMMA. Façon de dire qu’un certain nombre de mouvements sont passĂ©s au travers. En pareille situation les marchandises sont Ă©coulĂ©es comme d’habitude en Grande Bretagne grĂące, bien Ă©videmment, Ă  des documents falsifiĂ©s pour traverser le Chanel : pas vu pas pris.

Lorsque l’information parvient qu’une marchandise expĂ©diĂ©e par un entrepositaire français n’est pas parvenue Ă  destination la douane française lance une demande de vĂ©rification Ă  la douane du pays de destination dans le cadre de l’assistance administrative mutuelle internationale (AAMI). LĂ  encore, l’examen des Ă©changes entre douanes ne cesse d’intriguer mais ne suscite que rarement des rĂ©actions.

L’assistance mutuelle est pourtant encadrĂ©e par des textes communautaires notamment par le rĂšglement 389/2012 du Conseil du 2 mai 2012 dont le point 4 prĂ©cise les objectifs :

« L’échange d’informations dans le domaine de l’accise est nĂ©cessaire dans une large mesure pour que l’on puisse disposer d’une vue d’ensemble exacte de la situation de certaines personnes au regard de l’accise, mais, dans le mĂȘme temps, il n’est pas loisible aux États membres d’aller « Ă  la pĂȘche aux informations Â» ou de demander des informations dont il est peu probable qu’elles concernent la situation d’une personne donnĂ©e ou d’un groupe ou d’une catĂ©gorie de personnes dĂ©terminĂ©s au regard de l’accise Â».

Le rĂšglement 389/12 constitue le cadre exigeant de ce que l’on est en droit d’attendre d’une parfaite collaboration inter-douanes surtout quand on connaĂźt les consĂ©quences d’une coopĂ©ration de pure forme sur les intĂ©rĂȘts privĂ©s. Vaste sujet qui pourrait faire l’objet d’une Ă©tude approfondie tant la pratique suscite plus d’inquiĂ©tude que de satisfaction en raison de la tentation des administrations Ă  tirer la couverture vers elles pour des raisons souvent inavouables.

Nous retiendrons ici les deux principales motivations relevĂ©es dans la pratique : la politique du chiffre et la gloriole. C’est d’ailleurs pour ces mĂȘmes raisons que la douane a perdu le droit de visite des marchandises, des moyens de transport et des personnes. L’abus de prĂ©rogatives a fini par agacer les juges les plus favorables Ă  une douane efficace y compris le juge constitutionnel [13].

Pour ce qui concerne les vĂ©rifications demandĂ©es par les enquĂȘteurs de la douane française Ă  leurs collĂšgues des pays de destination le respect des exigences du rĂšglement 389/12 est surtout formel. La douane française veut s’approprier le recouvrement des accises mĂȘme quand elle sait que les collĂšgues Ă©trangers agissent dans le mĂȘme sens. Elle se garde bien d’en informer clairement le juge correctionnel dans ses conclusions histoire de ne pas risquer de perdre la main. L’absence de formation Ă  la matiĂšre des accises et plus gĂ©nĂ©ralement au contentieux douanier tant cĂŽtĂ© justice que cĂŽtĂ© dĂ©fense arrange bien les choses. Pourtant deux douanes ne peuvent procĂ©der au recouvrement des mĂȘmes accises. La JIRS de Lille l’a parfaitement compris mais, en l’état de la jurisprudence, elle est pour l’instant la seule.

On constate aussi parfois que dans les rĂ©ponses de la douane requise Ă  la douane requĂ©rante les rĂ©ponses semblent Ă©trangement « suggĂ©rĂ©es Â». NĂ©anmoins cette curiositĂ© est sans aucune comparaison, au niveau des consĂ©quences, avec certaines manipulations consistant Ă  empĂȘcher l’expĂ©diteur de s’assurer de l’exactitude et de la fiabilitĂ© des informations concernant la prĂ©sumĂ©e non-rĂ©ception des marchandises par le destinataire. C’est ainsi qu’on dĂ©couvre que la vĂ©rification effectuĂ©e en Italie Ă  la demande de la France a Ă©tĂ© faĂźte Ă  une fausse adresse qui n’a rien Ă  voir avec l’adresse qui apparaĂźt sur GAMMA dĂšs l’émission du DEA. L’affaire est d’autant plus surprenante que le douanier italien chargĂ© de la vĂ©rification est celui qui avait dĂ©livrĂ© le numĂ©ro d’accises Ă  la sociĂ©tĂ© italienne c’est-Ă -dire Ă  l’adresse figurant sur GAMMA.

Les enquĂȘteurs français avaient un accĂšs immĂ©diat Ă  toutes les informations utiles pour demander une nouvelle vĂ©rification Ă  la bonne adresse. Ils ont prĂ©fĂ©rĂ© notifier une infraction transmise Ă  la recette rĂ©gionale qui a Ă©mis un avis de mise en recouvrement pour ne somme supĂ©rieure Ă  4 millions d’euros, alors que la vĂ©rification de l’arrivĂ©e des marchandises et de la comptabilitĂ©-matiĂšre n’a pas Ă©tĂ© faite.

Au Danemark la situation est du mĂȘme ordre, en effet, la douane danoise ne se fatigue pas elle demande Ă  l’entrepositaire de confirmer sous quinzaine si les camions sont arrivĂ©s ou non. PassĂ© le dĂ©lai de 15 jours, sans rĂ©ponse, elle considĂšre que les camions n’ont pas Ă©tĂ© rĂ©ceptionnĂ©s. La douane française se contente de cette absence de rĂ©ponse et met Ă  la charge de l’expĂ©diteur les accises correspondantes : ProcĂšs-verbal de notification d’infraction suivi d’un AMR. C’est le nouveau jeu Ă  la mode « Jacques a dit Â» y a pas de camions. Pour la sĂ©curitĂ© juridique on est trĂšs loin du compte.

Cet exemple n’est pas le seul qui jette le doute sur le comportement des enquĂȘteurs. Il permet d’orienter le projecteur sur les dĂ©rives d’une administration qui a la bride sur le cou et constitue un sĂ©rieux danger pour les entreprises. Situation qui contraste avec la lĂ©nifiante communication de la douane qui vante Ă  longueur d’annĂ©e sa mission pĂ©dagogique.

Les douanes britanniques se plaignent frĂ©quemment devant leurs tribunaux du manque de coopĂ©ration de la douane française alors que le budget de la Couronne est l’unique victime. Lorsqu’ils reçoivent des demandes sur des affaires en cours la douane française rĂ©pond que l’affaire est en justice et qu’on ne peut rien communiquer. Attitude qui viole sans vergogne les rĂšgles de l’assistance mutuelle internationale.

Dans ces opĂ©rations insupportables menĂ©es contre les rares entrepositaires agrĂ©Ă©s qui rĂ©sistent encore, l’objectif recherchĂ© n’est pas la voie pĂ©nale car la douane elle-mĂȘme n’est pas dupe de ses manigances, sa stratĂ©gie consiste Ă  attendrir la viande pour aboutir, au final aprĂšs Ă©puisement, Ă  une transaction. La hiĂ©rarchie laisse faire.

Dans ce contentieux douanier particuliĂšrement complexe voire impĂ©nĂ©trable quand on en mesure l’incertitude tout le monde est perdant. La Justice est instrumentalisĂ©e, la DĂ©fense est dĂ©munie par manque de formation, les entreprises sĂ©rieuses sont pressurĂ©es, l’Union europĂ©enne tarde Ă  rĂ©gir et la douane elle-mĂȘme y laissera des plumes pour avoir, une fois de plus, outrepassĂ© ses prĂ©rogatives.

Quand les entrepositaires agrĂ©Ă©s auront disparu, la fraude aux accises pourra s’en donner Ă  cƓur joie. C’est un immense constat d’échec qui ne semble toujours pas Ă©mouvoir les pouvoirs publics ni d’ailleurs la Cour des comptes malgrĂ© les milliards de livres dĂ©tournĂ©s au prĂ©judice du budget de la Couronne.

Jean Pannier,
Docteur en droit
Avocat Ă  la Cour
Ancien membre du Conseil de l’Ordre
Site : http://contentieux-fiscal-et-douani…

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[1] Directive 2008/118 CEE du 16 dĂ©cembre 2008.

[2] Voir l’article :Les « contorsions Â» de la douane en matiĂšre de contributions indirectes et l’article Droit douanier : coup d’arrĂȘt sur la chasse aux accises en matiĂšre de contributions indirectes.

[3] Voir l’article : La valse-hĂ©sitation de la Chambre criminelle Ă  propos de la responsabilitĂ© pĂ©nale applicable aux contributions indirectes.

[4] Voir l’article : La CJUE tire les consĂ©quences des principes de sĂ©curitĂ© juridique et de proportionnalitĂ© e matiĂšre douaniĂšre

[5] Directive 2008/118 CEE du 16 dĂ©cembre 2008

[6] Conclusion de la douane devant la Cour d’appel de Douai dans l’affaire EUSTOP pour l’audience du 6 dĂ©cembre 2022.

[7] ArrĂȘt du 16 septembre 2008, Isle of Wight Council e.a., C 288/07, EU:C:2008:505, point 47 et jurisprudence citĂ©e.

[8] Voir, notamment, arrĂȘt du 29 juillet 2010, Profaktor Kulesza, Frankowski, JĂłĆșwiak, OrƂowski, C 188/09, EU:C:2010:454, point 29.

[9] Voir aussi l’article : La CJUE tire les consĂ©quences des principes de sĂ©curitĂ© juridique et de proportionnalitĂ© e matiĂšre douaniĂšre

[10] ArrĂȘt du 21 dĂ©cembre 2011, Vlaamse Oliemaatschappij, C 499/10, EU:C:2011:871, point 24 et jurisprudence citĂ©e.

[11] Jugement du 18 aoĂ»t 2015 du Tribunal correctionnel de Douai (Minute n° 670/2015)

[12] Jugement du 15 mai 2023 Tribunal de 1Ăšre Instance du Hainaut Division de Mons 8Ăšme chambre fiscale.

[13] Le droit de visite des douanes retoquĂ© par le Conseil constitutionnel

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commentaires
  1. k.e guillon dit :

    
 et nous devrions ĂȘtre Ă©tonnĂ©s? C’est l’inverse qui serait Ă©tonnant en ce monde oĂč nous sommes oĂč ils font ce qu’ils veulent (et ce n’est jamais dans le sens souhaitĂ© par le Peuple! – https://wp.me/p4Im0Q-65i

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