Il y a des inactions scandaleuses et des erreurs graves qui justifient qu’on s’en prenne au pouvoir, qu’il soit de droite ou de gauche. On est fondé à l’incriminer quand l’issue heureuse, efficace ne dépend que de lui et que le citoyen est furieux de le voir emprunter de fausses routes.Mais pour les réfugiés, les migrants de la « jungle » de Calais ou d’ailleurs, qui peut de bonne foi être dupe des discours et des propos péremptoires et ne pas avoir conscience de l’infinie complexité et détresse des situations, des existences, des exils, des déracinements, de la misère et de l’abandon de ces être venus dans nos pays, jetés parmi nous.
Les médias, parfois avec un catastrophisme visant à leur donner bonne conscience comme si décrire et dénoncer étaient déjà entreprendre et lutter, n’ont jamais lésiné sur les tragédies souvent mortelles, les désastres humains, le cynisme et l’appétit du gain des passeurs, les familles éclatées, séparées, les enfants délaissés, les conditions d’hébergement lamentables, la quotidienneté difficile, douloureuse de cette multitude dont une minorité a bien mal payé l’accueil trop généreux que lui a réservé l’Allemagne et qui est animée, bloquée à Calais pour le plus grand dam de ses habitants et de leur légitime tranquillité et sûreté, par l’unique désir de rejoindre sa terre rêvée, l’Angleterre
J’ai plutôt envie de saluer non pas tant ceux qui se penchent avec miséricorde sur toutes ces destinées ballotées – ces associations humanitaires sont faites pour cela, elles le font très bien et il n’est pas nécessaire en plus qu’elles accablent les politiques ! – mais les autorités qui, à tous les niveaux, sont confrontées à cet inextricable rébus humain et qui tentent, le moins mal possible, de trouver des solutions.
Car les migrants, les réfugiés ont cette particularité d’avoir une faiblesse qui est leur force. Leur puissance est d’être protégés par l’humanité défaite, désarmée, fragilisée qu’ils incarnent et la mission politique est, à cause de cette domination par le coeur et la compassion, rendue quasiment inconcevable.
Leur simple venue sur notre sol, quelles qu’aient été les conditions de leur arrivée, les constitueraient comme créanciers, nous aurions inévitablement, irrésistiblement une dette à leur égard. Nous devrions être honorés, à entendre et lire certains, par l’infinité des incommodités, nuisances, dégradations, transgressions et désordres que leur présence en masse suscite.
Intouchables, le plus léger mouvement de rejet à leur égard serait dénoncé et la seule attitude possible est d’exaucer leurs voeux autant qu’il est possible. Ils n’ont que des droits et le devoir de l’Etat est clair : être en butte à leurs récriminations et à leurs doléances, ne pas s’en plaindre mais gérer cette quadrature du cercle : faire preuve d’autorité mais sans autorité.
Absurdité : la justice a validé l’expulsion pour la zone sud et par conséquent la relocalisation de ses occupants mais la Préfecture concernée a déjà fait savoir qu’il était hors de question de faire respecter la décision par la force mais qu’on allait continuer à tenter de persuader les migrants de s’en aller spontanément. On devine la suite. Ce n’est même plus la peine de faire appel aux juges puisqu’il y a un gouffre total entre les processus officiels et leur traduction concrète. Entre ce qui conviendrait et ce qu’on n’ose pas.
Il n’y a que les Antigone confortables, artistiques, médiatiques qui s’arrogent le privilège, avec des pétitions du « il n’y a qu’à », de donner des leçons et d’enjoindre au nom de la morale. Alors que l’Etat ne bouge pas précisément à cause de la conception qu’il a de celle-ci.
Comme si leur éthique affichée et déconnectée de toute responsabilité n’était pas la plus facile du monde. Qu’un Guy Bedos ose insulter, sur Canal Plus, à ce sujet le premier Ministre : »Je lui péterais bien la gueule » est une honte. Je parie qu’il sera applaudi : l’inverse manifesterait que nous aurions changé de climat et retrouvé de la tenue !
Nous aussi pourrions signer de beaux textes vagues et généreux qui ne nous imposeraient aucune obligation !
Les migrants sont trop forts et ce n’est pas offenser leur condition précaire et incertaine que de les qualifier ainsi. C’est seulement mettre l’accent sur les limites de la politique quand on lui refuse le droit d’être elle-même.
Je devine déjà les protestations. Il ne suffit pas de ne pas exercer l’autorité et de dialoguer sans probablement convaincre. Les réfugiés et ceux qui les soutiennent, en ne se préoccupant que d’eux et jamais de ceux qui supportent leur proximité en n’ayant que le droit de se taire et d’être béats d’humanisme, mettront en cause, dans tous les cas, les modalités de leur départ. Quelques démagogues feront semblant de savoir ce qu’il conviendrait d’accomplir. Le tintamarre médiatique fera le reste. L’Etat devra en permanence battre sa coulpe pour se faire pardonner ce qu’il n’aura jamais la fermeté de faire respecter.
Qui tentera de soutenir que les migrants ne sont pas sacrés et que nos concitoyens n’ont aucun complexe à avoir ?
Qui aura le front de reprocher à l’Etat de préférer, à la pureté dévastatrice d’Antigone, la rude patience, l’inlassable pragmatisme et la vigoureuse conciliation de ce qu’on doit avec ce qu’on peut de Créon ? En définitive, sa faiblesse, noble si on veut, à son insupportable devoir ?
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La justice autorise le démantèlement partiel de la « Jungle » de Calais
BFMTV.COM
Le tribunal administratif de Lille a validé ce jeudi 25 février l’arrêté d’expulsion des migrants établis dans la zone sud de la « jungle » de Calais.
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