On parle beaucoup du général de gendarmerie Bertrand Soubelet ces dernières semaines et de son livre « Tout ce qu’il ne faut pas dire ».
Celui-ci a beaucoup de succès et son auteur, dans les médias de droite, en tout cas sensibles aux problèmes de l’insécurité et d’un certain laxisme judiciaire, s’est vu consacrer plusieurs articles élogieux et a eu droit à des portraits qui insistaient sur sa forte personnalité
Celle-ci m’intéresse au plus haut point.
Parce que son ouvrage, en dépit de son titre alléchant et provocateur, n’est pas bouleversant de nouveauté mais rejoint la liste des contributions encore rares mais nécessaires à une société déboussolée aspirant à un humanisme qui saurait aussi être rigoureux et efficace. Une fermeté qui n’aurait pas honte d’elle-même puisqu’elle serait au service de tous.
Son livre, en effet, passionne moins que son auteur.
Si on veut bien s’attacher à un ouvrage qui sur les mêmes thèmes a lumineusement et objectivement tout dit, je recommande celui de Xavier Bébin écrit en 2013, « Quand la justice crée l’insécurité », une somme honteusement occultée par les médias parce qu’il dirigeait alors l’Institut pour la Justice.
Il y a des idées qu’on n’a pas le droit d’avoir et des analyses qu’il est scandaleux de proposer non pas à cause de leur fausseté mais au contraire parce qu’elles sont trop vraies.
Le général de corps d’armée Bertrand Soubelet est sorti de l’ombre inhérente à ses fonctions quand à l’Assemblée nationale, le 18 décembre 2013, en sa qualité de directeur des opérations et de l’emploi, il a eu, devant la commission parlementaire de « lutte contre l’insécurité » présidée par un député socialiste, une intervention à la fois réaliste, décapante et totalement libre. Elle a fait mouche bien au-delà de cet auditoire.
Il a été sanctionné à la manière française insidieuse et lâche : au mois d’août 2014, il doit quitter ses fonctions pour être muté à la tête de la gendarmerie d’outre-mer, poste évidemment qualifié par le gouvernement de « prestigieux » et « de confiance ».
A la suite de la publication de son livre le 24 mars 2016, au motif qu’il aurait violé l’obligation de réserve des militaires, il est en passe d’être relevé de son commandement, son successeur est connu et va être nommé sous peu par décret présidentiel (Le Figaro).
Même si Bertrand Soubelet affirme n’avoir pas dérogé à la retenue que son statut lui imposait, il est permis de considérer que dans l’acception classique de l’obligation de réserve, il la met à mal par la manière avec laquelle en particulier il pourfend l’incurie et la médiocre clairvoyance du Pouvoir.
Mais sa position est originale et mérite d’être prise au sérieux. Il considère que durant l’exercice de ses fonctions, l’obligation de réserve n’a pas de sens puisqu’il convient au contraire de dénoncer ce qui doit l’être alors qu’une fois revenu à la vie civile, l’abstention et le silence seraient obligatoires.
J’avoue parfaitement comprendre ce paradoxe apparent, non pas parce que j’aurais moi-même traité durant quarante années avec distance l’obligation de réserve stricte qui nous était imposée et dont la définition opératoire a changé depuis 2007 mais en raison de la logique profonde de cette réflexion. A quoi cela sert-il de ne pas parler quand il le faudrait et de s’exprimer alors que ce sera trop tard ?
Souvenons-nous de ces ministres de Nicolas Sarkozy qui durant son quinquennat n’ont jamais émis la moindre protestation, la plus petite contestation, inconditionnels par force ou par conviction, et qui ensuite, la défaite consommée, se sont réveillés. Pour ma part je juge cette lâcheté puis cette audace facile lamentables.
Je ne ferais pas la même critique à une Cécile Duflot dont on sait que ministre elle n’a pas hésité à s’opposer au président de la République bien avant un livre qui n’a pas mâché ses pages.
Ce que les Français achètent, c’est moins le livre de Bertrand Soubelet qu’une conception retrouvée du courage, de la sincérité et de l’affirmation. C’est la liberté de la pensée, le refus d’une frilosité qui est dévastatrice quand la maison brûle. C’est le rappel brutal d’évidences qui ont besoin d’être martelées quand nos gouvernants, pour justifier leur inaction et leur faiblesse, font semblant de ne pas les entendre.
C’est Bertrand Soubelet que les citoyens font monter sur un pavois. C’est aussi Philippe de Villiers qu’ils ont applaudi, sur un autre registre, au travers de son livre. Notre société est en manque d’estime et d’admiration, elle est privée de colonnes humaines sur lesquelles elle pourrait s’appuyer.
Parce que, où qu’on regarde, les hommes et les caractères sont rares et donc suscitent une adhésion d’autant plus légitime et intense que des personnalités sans relief sont souvent injustement promues et flattées.
http://www.philippebilger.com/
00000000000000000000000000000000000000