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Le piège

Un matin de juin 2009, l’adjoint du COCAC m’appela à mon domicile pour me donner l’ordre de me rendre au cabinet du médecin de l’ambassade. Ce dernier m’avait reçue la veille car j’avais été prise d’un accès de fièvre dû au paludisme. Que du très banal au Bénin. J’en fis la remarque mais l’ordre était « un ordre » formel. Le médecin de l’ambassade m’expliqua alors que je ne souffrais pas d’une banale crise de paludisme mais que, à la réflexion, « des parasites étaient en train de détruire mes systèmes lymphatique et sanguin » et que je devais être hospitalisée et rapatriée en France. C’était une question de vie ou de mort. En pleine crise de paludisme, et il était médecin, son avis par nature faisait autorité. Il n’y avait pas lieu dans un tel cas d’aller solliciter un deuxième avis (6). J’acceptai d’être rapatriée sanitaire en France et consultai notamment le service des maladies infectieuses de l’hôpital de ma ville. Trois semaines plus tard, je me retrouvai donc à Paris, dans un bureau du ministère des Affaires étrangères face au médecin de prévention pour lui apporter toutes mes analyses, lesquelles attestaient que je n’avais traversé qu’une crise de paludisme, banale.

Et là, ce fut pour moi la stupéfaction. Le médecin du ministère me déclara sévèrement que l’ambassadeur avait motivé mon rapatriement par « une tentative de suicide ». Or, je n’avais pas de problème : je me trouvais bien au Bénin, je me trouvais bien dans mon activité, je gagnais bien ma vie, je me pacsais le mois suivant; ce que je lui dis… et il me fut répondu: « Madame, je ne suis pas policier. Si je dois croire l’ambassadeur ou vous, je crois l’ambassadeur ». Très vite, je me heurtai à un mur de la DRH du ministère qui refusait de considérer les certificats des médecins rennais, notamment hospitaliers, lesquels m’avaient jugée en parfaite santé. Le ministère faisait état brusquement de problèmes psychiatriques. Je découvris que le médecin de l’ambassade m’avait inventé de faux « antécédents psychiatriques » datés de ma prise de fonctions un an plus tôt… Je commençais alors à entrevoir les pièces d’un puzzle. Plus tard, je découvrirai des documents écrits par l’ambassadeur me discréditant de façon grossière. Ainsi, mes vacances méritées de l’été 2009 tournèrent à la course aux avocats. Malheureusement, je ne pris pas garde à une réflexion (qui s’avèrera prémonitoire) du médecin de prévention qui me dit: « si vous retournez à Cotonou, vous allez vous faire tuer ». Des amis s’alarmaient pourtant aussi… Septembre 2009, après ou grâce à, la saisine en référé du tribunal administratif de Paris, je rentrai à Cotonou au plus vite. Il y avait eu un changement majeur dans l’organigramme de l’ambassade : le Conseiller de Coopération et d’Action Culturelle tant humilié publiquement par l’ambassadeur avait été remplacé. La personnalité du nouveau conseiller était à l’opposé de celle de son prédécesseur. De délétère, l’ambiance dans le service devint violente. Le nouveau COCAC ne formulait à mon encontre que des observations infondées, me reprochant ainsi l’octroi d’une bourse de stage sans autorisation alors que celle-ci avait bien été donnée, etc. Mon travail était continuellement dénigré par ma nouvelle hiérarchie, de même que mon attitude. Ainsi, le nouveau conseiller me reprocha ma présence à une conférence – alors que j’y avais été invitée à titre personnel par ses organisateurs – avec une violence telle que, de France, mes avocats jugèrent nécessaire d’intervenir sous la forme d’échanges de recommandés pour en garder la trace avec communication à la DRH du ministère, laquelle était prise à témoin par ma nouvelle hiérarchie. De facto, ma nouvelle hiérarchie me retirait mes tâches et les moyens nécessaires à l’accomplissement de mes missions, me cantonnant à des tâches subalternes, sans lien avec les fonctions que j’exerçais initialement pour lesquelles j’avais été missionnée et reconnue compétente.

Les dossiers fantômes

Clairement, j’étais sanctionnée et mise à l’écart du service. Les dossiers dont je devais assurer la mise en œuvre et le suivi étaient désormais confiés à une employée béninoise de recrutement local. Ces dossiers étaient à l’évidence des « dossiers fantômes » : ils n’étaient plus signés par leurs « bénéficiaires », ils ne comportaient aucun des justificatifs nécessaires aux dossiers d’invitations, de missions, aucun contact, etc. Je ne réussis à identifier que deux bénéficiaires non fantômes. Ceux-là apparaissaient également sous une forme codée pour que les crédits soient consommés deux fois pour un même stage. Il s’agissait tout simplement de créations de dépenses fictives (7) apparemment de façon systématique. Les bases de données que j’avais mises en place à mon arrivée le démontraient sans ambiguïté.

Parallèlement, les menaces à mon égard se faisaient plus précises.

Cotonou, bien que capitale économique du Bénin, garde des caractéristiques de village. Au sein d’une communauté donnée, tout le monde se connaît. En l’espace d’une semaine, une dizaine de personnes vinrent me rapporter un projet qui se tramait contre moi à l’ambassade, avec toujours la même expression peu courante de «viol commandité ». Le raisonnement était simple : puisque l’ambassade(ur) n’avait pas réussi à m’écarter de mon poste, eh bien, « on allait (me) dégoûter du pays» . Je prévins mes avocats français par mail de ces menaces (identité d’au moins une des personnes ayant tenu ces propos, les circonstances, coordonnées de deux des personnes m’ayant mise en garde)8. Il y eut deux tentatives d’intrusion nocturne à mon domicile. L’inquiétude était telle parmi mes amis béninois qu’ils se relayaient pour me raccompagner le soir.

Novembre et décembre se passèrent, toujours dans une atmosphère tendue. Les violences verbales et écrites du nouveau COCAC étaient quotidiennes.

A Paris, mon syndicat découvrait a posteriori dans mon dossier administratif un tableau sans appel que l’ambassadeur avait dressé de moi. Quatre mois après ma prise de fonctions, le 10 novembre 2008, il avait signé un télégramme diplomatique pour signaler à la DRH que « depuis (mon) arrivée en poste en juillet dernier, (j’avais) fait montre de sérieux problèmes d’adaptation aux conditions de vie dans un pays en voie de développement ». L’ambassadeur ajoutait que « si (ma) façon de servir … n’appelle pas de commentaires particuliers par sa hiérarchie directe, mes collaborateurs sont souvent sollicités pour lui apporter écoute et assistance, car elle semble vivre les tracas de la vie quotidienne comme une succession de persécutions ». Je saisis alors mes avocats, expliquant que les deux fois où j’avais demandé une intervention, elle avait été justifiée9. Mais le télégramme diplomatique (comportant également des considérations d’ordre médical) figurait désormais dans mon dossier administratif au ministère. J’en demandai le retrait devant la justice administrative.

6 – Coïncidence ? Mon médecin-traitant au Bénin venait de rentrer en France pour ses vacances

7 – Mail à mon correspondant PRISME en administration centrale du 14 décembre 2009 (PRISME est un logiciel de gestion interne au ministère

8 – Mail précité du 18 octobre 2009.

9 – Cf. note 4.

à SUIVRE

Tout le témoignage :

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Lanceur d’alerte au ministère des Affaires étrangères

« Si tu ne parles pas, tu meurs. Si tu te tais, tu meurs. Alors, dis et meurs », cette citation d’un poète algérien (1) trouve à s’appliquer à la situation professionnelle à laquelle je suis confrontée.

Mourir ne fait a priori pas partie de mes intentions, mais je me bats depuis 2010 pour faire reconnaître ce que je vis comme une profonde injustice. Pour cette raison, j’ai décidé de témoigner. Je considère être triplement victime de mon administration: d’une part, d’une tentative d’assassinat en janvier 2010 commise par une employée locale dans les locaux de l’ambassade de France au Bénin; d’autre part d’un harcèlement moral de la part de ma hiérarchie d’alors; et enfin, de l’acharnement de mon administration depuis, à m’appliquer « la politique du nœud coulant ».

En 2000, j’ai intégré le ministère des Affaires étrangères par concours externe. Deuxième au classement sur plus de 2000 candidats, mais c’était sans compter sur l’attitude de la Direction des Ressources Humaines (DRH) de ce ministère qui, lorsque je fus en situation de postuler sur un poste à l’étranger, me fit savoir que j’avais « intégré le ministère trop âgée (39 ans), et qu’en outre, (j’étais) une femme, et les femmes, on n’en veut pas dans tous les postes ». J’eus beau mettre en avant mes compétences: une licence d’anglais, un bon niveau d’espagnol, des années de japonais… Rien n’y fit, ni même l’intervention de ma hiérarchie d’alors qui m’avait inscrite de sa propre autorité à la préparation du diplôme professionnel interne, le Brevet d’Administration Consulaire Appliquée (BACA), considéré comme le B.A.-BA de tout agent du ministère des Affaires étrangères, préparation dont je fus radiée par la DRH dès qu’elle eut connaissance de ma présence aux cours. Dans les années qui suivirent, je me heurtai à la même obstruction. Ce n’est qu’en 2006 que, sous la pression d’un syndicat, la DRH me proposa un marché : si j’acceptais de prendre un poste d’adjoint de chef de bureau, vacant depuis plus de trois mois pour cause de chef de bureau « difficile », et si je « tenais » 18 mois, alors j’obtiendrais le sésame pour partir en poste à l’étranger (sésame que tous mes camarades de promotion, plus jeunes, avaient eu depuis bien longtemps).

1 – Tahar Djaout

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En 2008, j’obtins donc mon premier poste à l’étranger. A l’été, je partis pour Cotonou, la capitale économique du Bénin, affectée au Service de Coopération et d’Action Culturelle (SCAC) de l’ambassade de France. Je m’occupais des boursiers béninois envoyés en France pour des stages ou des formations, des missions de Français effectuées au Bénin, des invitations de Béninois en France, de l’organisation de concours, d’examens. Je découvrais un service tenu au fil de l’eau, où des placards dégorgeaient littéralement de dossiers en vrac, parfois en double ou triple exemplaire. Je détectais des « anomalies » : des bourses d’études attribuées depuis 6 ou 7 ans sans justificatif quand le maximum était fixé à 3 ans pour une thèse. J’accumulais les heures de travail et j’entrais par dizaines des dossiers dans des bases de données, j’organisais des concours, je recevais des étudiants en partance… Depuis que j’avais rejoint le ministère des Affaires étrangères, après une première vie professionnelle chez France Telecom, les appréciations de ma hiérarchie étaient élogieuses: « elle a toute la confiance de son supérieur hiérarchique qui apprécie la qualité de son travail ». Ce dernier soulignait « une compétence remarquable et un dévouement exceptionnel » ainsi que des « qualités relationnelles appréciées ». J’étais « un excellent agent qui a un fort potentiel dans de nombreux domaines » avait estimé mon dernier supérieur avant que je ne quitte la France pour le Bénin (2). L’évaluation du Conseiller de Coopération et d’Action Culturelle (COCAC) à la tête du SCAC de l’ambassade, en mai 2009, était de même nature.

Il écrivit ainsi de moi : « elle s’est rapidement et fortement investie dans ses nouvelles fonctions à la tête du bureau des bourses, missions, invitations, ainsi que des concours et examens. Elle marque constamment son souci d’améliorer les outils pour plus de transparence et d’efficacité. Elle inscrit également son action dans le souci de faire des bourses, missions et invitations et concours et examens un instrument performant au service de notre politique culturelle et de promotion de l’enseignement supérieur tant français qu’africain ».(3)

Je ne tardai pas à percevoir une ambiance générale au sein de l’ambassade étrangement délétère. A deux reprises, au cours de l’année, le COCAC me demanda de témoigner par écrit des scènes de menaces dont j’avais été témoin dans le cadre professionnel. Il semblait inquiet. Chacun pouvait constater la politique d’humiliations publiques que l’ambassadeur menait à son égard. Ainsi, privé de sa voiture de fonction, il n’avait comme ressource pour se rendre à des manifestions officielles et représenter la France que le recours à l’estafette de l’ambassade ou à un mototaxi local. Moi-même, je me trouvais confrontée à une violence qui ne disait pas son nom. Des menaces répétées (4), des rumeurs relevant de la calomnie (5). Elles émanaient de la hiérarchie de l’ambassade. Mes collègues du service étaient d’accord pour considérer qu’elles étaient liées à la personne du conseiller qui était ainsi visé. La première année au Bénin se passa ainsi, caractérisée par un énorme investissement dans mon travail. Et puis, il y eut un évènement que je qualifie de piège tendu par l’ambassade. J’y tombai à pieds joints.

2 – Compte-rendu de l’entretien professionnel 2008, ministère des Affaires étrangères, 16 juin 2008.

3 – Compte-rendu de l’entretien professionnel 2009, ministère des Affaires étrangères, 13 mai 2009.

4 – Pour m’être occupée d’un boursier accidenté (août 2008), pour avoir signalé les menaces de représailles physiques du compagnon d’une contractuelle, proche de l’ambassadeur, qui m’avait escroquée (octobre 2008. Plainte en France), pour avoir refusé de payer un policier et un tiers à l’occasion d’un banal racket de rue devant témoins (octobre 2008, rapport de mon assurance)…

5 – Je cite le médecin de prévention du ministère : « des rumeurs circulent notamment sur des épisodes d’alcoolisation et de prises de benzodiazépines intempestives », sa note du 1er juillet 2009 à l’attention du psychiatre mandaté pour le ministère suite ma supposée tentative de suicide évoquée plus loin. Il y aura aussi les accusations par l’ambassadeur « d’espionnage au bénéfice de la Présidence de la République béninoise (mails de septembre 2009 à mon syndicat et mes avocats). Un interprète du président béninois, «d’ami » avant l’été 2009 était devenu mon « amant » (mail du 18 octobre 2009 à mes avocats)…

A suivre

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Il y a quelques années Vincent Jauvert avait écrit « La face cachée du Quai d’Orsay »

On pouvait lire !

Petits trafics

On apprend ainsi que l’ambassadeur de France à Madrid, Bruno Delaye, est soupçonné d’avoir loué à de grandes sociétés les somptueuses salles de réception de sa résidence pour 90 000 € versés sur son compte bancaire personnel. Il a fait l’objet d’une enquête mais n’a écopé que d’un blâme, et a été vu dans des voyages officiels avec François Hollande. Le représentant au Luxembourg et son épouse, M. et Mme Terral ont eux déclaré deux fois plus d’invités présents aux réceptions à l’ambassade, donc obtenus deux fois plus de remboursements forfaitaires. Ils ont reconnu « des maladresses ». Mais comme la retraite approchait, l’ambassadeur a été déplacé à Paris.

Présumé pédophilie muté

Plus grave, un diplomate français en poste à New York suspecté de pédophilie qui a réussi à quitter précipitamment les USA en 2011 a été recasé au… service internet du Quai d’Orsay à Paris avant d’être exfiltré. « Tout cela reste en interne pour ne pas affecter l’image de la France », se désole un interlocuteur de l’auteur qui reconnaît qu’en matière de pédophilie pourtant, « le Quai « a mis fin à l’omerta qui régnait jusqu’aux années 2000 ».

Sur l’argent, l’enquête lève enfin quelques tabous. Ambassadeurs et consuls sont mieux payés que les ministres, les salaires fluctuant de 9 000 € à 24 000 pour le Yémen. Mais au moins, ceux-là travaillent. Car on apprend que le ministère comptait en 2008 « 238 ambassadeurs sur étagère ». Rémunérés mais sans affectation après avoir exercé dans tel ou tel pays. Beaucoup ont dépassé 55 ans. Pour désengorger cet effectif le quai d’Orsay a signé des chèques de pré-retraite de 80 000 à 100 000 euros !

Les nominations, par l’Élysée ou en interne, restent d’une grande opacité. Qui devient diplomate ? Des énarques, des lauréats de concours mais aussi une litanie de proches du pouvoir d’anciens conseillers de cabinets ministériels, de parlementaires, de copains de promotion ENA à recaser. Très pratiques pour cela : les ambassades thématiques comme celle « des relations avec la société civile », de « l’audiovisuel extérieur » ou de « l’Antarctique ».

Machisme et lobby gay

Enfin, l’enquête confirme la réputation qui colle aux Affaires Étrangères d’être un ministère divisé entre mâles machistes et lobby… gay.

Les premiers surnommaient jusqu’en 2012 une ambassade d’Asie la cage aux folles et déploraient la promotion de « jeunes femmes inexpérimentées au nom de la parité ». Pourtant, au palmarès des dérives et du machisme, le diplomate est dominé par… l’épouse de diplomates si on en croit le livre. « Comportement tyrannique avec le personnel », dépenses de prestige, harcèlement de conseillères qui déplaisent : la direction scrute autant le comportement de l’Ambassadeur que celui de sa ou son conjoint (les coming out se multiplient). Laurent Fabius a dû nommer un médiateur chargé de déminer les conflits. Après tout, c’est le boulot de ce ministère.

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