Pierre Mongin a créé la surprise mardi 17 mars en annonçant son départ de la RATP pour GDF Suez, quelques mois seulement après son renouvellement à la tête de la régie. Celui qui va rejoindre la direction générale du groupe énergétique et de services, le 1er mai prochain, est un homme à paradoxes : étiqueté à droite, l’ancien directeur de cabinet de Balladur et de Villepin a fait la quasi-unanimité auprès des syndicats de la RATP. Même la CGT, majoritaire, n’a émis « aucune réserve » quand il a été reconduit à son poste, le 23 juillet.
D’ailleurs, si les Franciliens ont l’occasion de se plaindre du manque de propreté dans le métro, des tramways bondés ou des retards sur les lignes du RER, ils sont rarement dérangés par des conflits sociaux, encore moins par une paralysie générale du réseau. C’est la grande fierté de Pierre Mongin : « La RATP a le taux de grèves le plus bas du secteur », a-t-il pour habitude de glisser à ses interlocuteurs. Et c’est indéniablement ce qui a pesé en sa faveur quand l’Elysée s’est déterminé à le reconduire.
Un épais carnet d’adresses *
Accusé par les syndicats d’avoir été « recasé » à la tête de la RATP par la droite moins d’un an avant l’élection présidentielle de 2007, le haut fonctionnaire traîne derrière lui la casserole du CPE, le contrat première embauche enterré par le gouvernement Villepin pour calmer la révolte des jeunes dans la rue. « J’étais contre », confie-t-il aujourd’hui, même s’il a défendu le « smic jeunes » en 1993, ce qui lui collera longtemps à la peau.
S’il jure « ne pas avoir de plan de carrière », ce fils de bonne famille marseillaise n’aurait pas compris qu’on lui retire les rênes de la RATP en 2014. »Je peux encore rendre des services à mon camarade de promotion de l’ENA François Hollande », livrait-il en privé début 2014. Doté d’un carnet d’adresses aussi dense qu’un plan de métro parisien, Pierre Mongin n’a de fait pas ménagé ses efforts pour défendre sa transformation de préfet en manager : « En huit ans, le chiffre d’affaires de la RATP a augmenté de 22% et le résultat net a été multiplié par 6,5, insistait-il devant les députés à l’Assemblée nationale, quelques jours avant son renouvellement. Nous avons la meilleure rentabilité du secteur en Europe et des investissements à un niveau historiquement haut, dépassant 1,5 milliard par an, pour moderniser les infrastructures franciliennes », énumère-t-il encore, tel un patron du CAC 40 en plein road show financier.
S’il affiche une autorité de préfet, Pierre Mongin reste ouvert au dialogue. « Je parle et j’écoute beaucoup, c’est d’ailleurs pour ça que je suis toujours en retard à mes rendez-vous », reconnaît-il. Aussi, s’il aime tant citer la phrase « il faut donner du temps au temps » de François Mitterrand, le seul homme politique qui l’ait « vraiment intimidé », c’est parce qu’elle lui va comme un gant. En 2006, il se donne six mois pour analyser le fonctionnement de la RATP avant de fixer son cap stratégique. En 2012, il prend trois mois pour faire remonter plus de 20.000 contributions des salariés. « Il tenait à soumettre les grands enjeux – l’ouverture à la concurrence, le Grand Paris… – à tous ses collaborateurs », raconte son secrétaire général, Emmanuel Pitron. Cela lui permet de décrocher son brevet du dialogue social aux yeux de ses pairs. « Quand les machinistes ont cinq minutes à la descente des bus pour s’exprimer, est-ce vraiment une démarche participative ? » raille-t-on cependant à la CGT, où la méthode est plutôt perçue comme « une opération de communication ».
Il répond à ceux qui le critiquent
Une pique que l’ancien préfet n’apprécierait guère, lui qui a souvent du mal à accepter la critique. « Il a un rapport fusionnel à l’entreprise, reconnaît un proche. Du coup, il a du mal à reconnaître des points faibles à la boîte. A l’écouter, tout va toujours très bien à la RATP ! » Et quand ça va mal, mieux vaut ne pas le dire trop fort. « J’ai eu droit à de sacrées engueulades dès que j’abordais les problèmes d’image de l’entreprise auprès des voyageurs », se souvient Yves Boutry, ancien représentant des usagers de la Fnaut (Fédération nationale des associations d’usagers des transports) au conseil d’administration. Pas question de lui dire, par exemple, que la propreté du métro parisien laisse toujours à désirer.
« J’investis 40 millions d’euros dans la rénovation des stations », réagit-il immédiatement, en usant, comme souvent, de la première personne du singulier. « Et si les stations paraissent sales, c’est surtout à cause des infiltrations d’eau… en provenance de la voirie », assure-t-il. Quant à la ponctualité des métros, des bus ou des trams, Pierre Mongin exhibe les 147 critères (ponctualité, régularité, qualité de l’information aux voyageurs…) qu’il s’est engagé à faire respecter depuis 2012 (79 auparavant) auprès du Syndicat des transports d’Ile-de-France (Stif), l’autorité de tutelle de la RATP. Soumis à des bonus-malus pouvant atteindre plusieurs dizaines de millions d’euros.
Il a la culture du résultat
Pas toujours au beau fixe, les relations avec Jean-Paul Huchon, le président de la région Ile-de-France, se sont nettement améliorées depuis 2010. « C’est un partenaire loyal et réactif », convient le socialiste. Très attaché à sa mission de service public, le patron de la Régie n’est jamais non plus à court d’arguments pour réfuter l’idée selon laquelle la RATP vit des subsides de l’Etat (3 milliards d’euros versés par le Stif entre 2012 et 2015). « J’ai rendu 100 millions aux contribuables pendant mon deuxième mandat, tient-il à souligner. Et réalisé 300 millions d’économies en gagnant 1% de productivité tous les ans dans le groupe », poursuit le patron qui veut inculquer à la RATP la culture du résultat.
« Il incarne son entreprise à la manière d’un grand serviteur de l’Etat qui veut insuffler de la modernité et de l’efficacité dans le système », résume Henri de Castries, le PDG d’Axa, avec qui il chasse en Sologne. Un ami proche, auprès duquel il a cherché du réconfort lors de sa mise en examen dans l’enquête sur le financement de la campagne d’Edouard Balladur, en 1995. Une affaire, annulée en mars par la cour d’appel de Paris, qui a profondément marqué cet homme élevé dans le respect de l’ordre public. « C’était vraiment me méconnaître, raconte-t-il. J’en ai gardé un profond sentiment d’injustice et de souffrance. » Au sens figuré comme au sens propre : car pendant de longues semaines, ses collaborateurs ont vu leur PDG arriver au bureau plié en deux par une sciatique. « Il était mortifié, se souvient un ami marseillais. A cette époque, il s’est beaucoup appuyé sur sa fille avocate et sur le clan familial. »
Il défend son monopole
Pas très libéral, même s’il s’en défend, l’ancien préfet a mis beaucoup d’énergie à préserver le périmètre de la RATP face à l’arrivée de la concurrence. « Dès 2008, il a bataillé comme un acharné pour obtenir à Bruxelles les délais les plus longs avant la mise sur le marché des lignes de bus (2024), de tram (2029) et du métro (2039) ! » se souvient un ex-fonctionnaire du ministère des Transports. De quoi s’attirer la sympathie des syndicats maison, mais pas celle de ses rivaux. L’an dernier, les dirigeants de Deutsche Bahn ont menacé de porter plainte contre la Régie, candidate à l’exploitation du RER de Berlin. Jugeant qu’elle bénéficiait « d’une situation de monopole illégale au regard du droit européen ».
Car Pierre Mongin ne s’est pas gêné pour aller chercher des parts de marché en dehors de son fief d’Ile-de-France. Dans les grosses villes de province et à l’international, où les bus et les tramways de la filiale RATP Dev ont pour objectif de rapporter 30% du chiffre d’affaires du groupe à l’horizon 2020. « Jean-Paul Bailly [président de la RATP avant Anne-Marie Idrac] avait ouvert la voie, rappelle Arnaud Aymé, du cabinet de conseil Sia Partners. Mais Pierre Mongin a voulu accélérer le tempo. » Ce volontarisme lui joue parfois des tours : « Il se prend parfois les pieds dans le tapis », sourit ce responsable d’une entreprise ferroviaire.
Comme en septembre 2012, lorsqu’il provoque une minitempête boursière sur le titre Veolia Environnement après avoir expliqué, en marge d’une conférence de presse, que la RATP et SNCF « s’étaient mis d’accord sur le rachat de certains actifs de Veolia Transdev ». Une opération de plus d’1 milliard d’euros dont l’idée exaspère Jean-Pierre Jouyet, vieille connaissance de la promotion Voltaire et patron à l’époque de la Caisse des dépôts, coactionnaire de Veolia : « La RATP n’a pas les moyens de ses ambitions et les actionnaires n’ont pas l’intention d’obtempérer », lâche-t-il.
Il est respecté par Pepy
S’il aime prendre des décisions tranchées, Pierre Mongin sait aussi faire des compromis. Ainsi, il a pacifié les relations de la RATP avec SNCF, en mettant fin aux querelles entre dirigeants. « Guillaume Pepy et Pierre Mongin se respectent et ça se passe bien entre eux, même s’ils ont des tempéraments différents », affirme Jean-Paul Huchon, qui voit souvent les deux hommes. Les excès de communication du premier irritent parfois le second, plus discret. « On le voit mal enfourcher un scooter pour débarquer dans une salle de rédaction, ni enfiler un gilet rouge pour déminer une grève sur le RER B », admet un proche conseiller. L’ex-sous-directeur de la police de Paris préfère œuvrer en coulisses.
Notamment lorsqu’il s’agit de mettre fin en 2010 à la bataille qui déchire les deux groupes pour diriger Systra. L’entreprise d’ingénierie ferroviaire (3.800 salariés), choisie pour concevoir le tramway de Casablanca et le métro de La Mecque, est codétenue par la RATP et SNCF. « Il a mis un terme à cette guerre stérile qui nous faisait perdre des parts de marché en proposant un réel joint-venture« , reconnaît Guillaume Pepy, qui prend soin d’alterner avec Pierre Mongin les déplacements officiels à l’étranger dans l’avion présidentiel.
Il est un bon VRP à l’international
Très attaché à la Méditerranée, où il passe ses vacances d’été dans sa demeure des Lecques, le patron marseillais est devenu par la force des choses un globe-trotteur. En septembre dernier, il était à New York avec François Hollande et Anne Hidalgo, invité au sommet de l’ONU sur le climat pour défendre ses bus « zéro émission de carbone ». Un projet de plus de 2 milliards d’euros pour remplacer toute la flotte parisienne d’ici à 2025 par des bus électriques. « Une vitrine technologique qui nous permettra d’être les mieux placés pour conserver notre marché après 2024″, assure le patron qui a signé avec Henri Proglio, le PDG d’EDF, un accord pour développer des batteries à forte capacité.
Autre avancée technologique sur laquelle le patron compte pour grossir à l’étranger : le métro automatique, dont les lignes parisiennes 1 et 14 sont les vitrines internationales. Notamment en Arabie saoudite, où Pierre Mongin se rendra dans quelques jours pour signer le contrat gagné pour l’exploitation du réseau de bus de Riyad. En espérant faire coup double avec le métro. Le préfet est même devenu VRP !
http://www.challenges.fr/entreprise/20141024.CHA9444/comment-le-pdg-de-la-ratp-seduit-tout-le-monde-y-compris-la-cgt.html
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